Le Japon est un pays qui attire de plus en plus l’attention de l’Occident pour sa culture zen, ses arts traditionnels que sont l’ikebana, les estampes, la cérémonie du thé mais également pour sa décoration d’intérieur minimaliste et très épurée. Les maisons japonaises sont en effet très caractéristiques pour leur style très aéré et leurs mobiliers discrets composés principalement de matériaux naturels comme le bois. Elles nous inspire donc généralement pour le calme et l’ambiance reposante qu’elles arrivent à instaurer en leur sein. Aujourd’hui nous vous proposons donc de vous faire découvrir un des composants de ces maisons japonaises traditionnelles qui datent de plusieurs centaines d’année et qui n’est autre que le tokonoma.
Qu’est-ce qu’un tokonoma ?
Un tokonoma est, comme vous vous pouvez le voir sur la photo ci-dessous, une zone en tatami d’un à deux mètres carrés environ qui est nettement distinguée du reste de la pièce principale, appelée washitsu. Il en est séparé dans la grande majorité des cas en étant surélevé d’une quinzaine de centimètres mais il arrive parfois qu’il se trouve au même niveau du washitsu, il en est alors séparé à l’aide d’une poutre en bois afin de marquer la démarcation entre lui et la pièce principale. Également, dans de plus rares cas encore on trouve des tokonoma suspendus qui ne nécessite donc pas un retrait dans le mur d’un point de vue architectural.
Comme mentionné dans l’introduction, la décoration japonaise est quelque chose de très minimaliste qui n’admet pas de bazar ni beaucoup de fantaisies figuratives. Le tokonoma sert donc à compenser ce manque de liberté imposé par le design intérieur des maisons japonaises car il est destiné à accueillir tous types de décorations traditionnelles que nous verrons dans la suite de cet article.
Étymologie de tokonoma
Le mot tokonoma est la fusion de trois kanji japonais que sont “toko”, “no” et “ma” traduisant respectivement “plancher/lit de chambre”. Bien que cela ne soit effectivement pas très parlant en français, il faut le comprendre comme une zone à part entière indépendante insérée dans un espace de vie, en l'occurrence le washitsu.
Histoire du tokonoma
Comme pour beaucoup de choses dans la culture japonaise, les tokonomas ont su plus ou moins être conservés au travers des siècles et si vous avez la chance de vous rendre au Japon et de loger dans une maison japonaise traditionnelle, il est fort probable que vous en retrouviez un. Voici donc d’où viennent ces fameux alcôves surélevés par rapport au tatami.
Origine du tokonoma
Le tokonoma serait un dérivé inspiré du butsudan. Il s’agissait durant l’Antiquité d’une petite motte de terre sacrée qui était utilisée comme autel à des fins religieuses bouddhistes en Inde, le berceau de la religion bouddhiste. Peu à peu ce butsudan fut alors couvert avec un toit afin d’être protéger des intempéries comme la pluie. Il fut ensuite introduit en Chine et c’est alors qu’il prit la forme plus luxueuse pour laquelle nous le connaissons avec des portes et un Bouddha (Gohonzon) ou un rouleau en son sein. Pendant le règne de l’empereur Tenmu (672-686) durant la période Yamato (250-710) le butsudan fut alors importé depuis la Chine au pays du Soleil levant où il s’y développa progressivement avec l'expansion de la religion bouddhiste sur son territoire.
Il faut néanmoins avancer jusqu’à la fin du XVIème siècle durant l’époque Muromachi (1336-1573) afin de voir apparaître les premiers tokonomas traditionnels japonais. Ce sont dans les palais ou châteaux des shoguns qu’ils se trouvaient alors à cette époque et nulle part ailleurs. Ils étaient disposés dans le fond d’une pièce destinée uniquement à la réception des invités par le shogun dans sa demeure royale. Lorsque celui ci y était présent il accueillait donc ses hôtes dans cette pièce en se tenant dans, surement en position assise, le tokonoma qui était à l’époque composé d’une toile beige dans le fond sur lequel pouvait éventuellement reposer un poème ou une prière.
Le tokonoma était alors déjà surélevé par rapport à la hauteur de la pièce afin que le shogun prenne de la hauteur sur son invité et marque sa supériorité hiérarchique sur celui là. En cas d’absence du shogun, un kakemono était alors suspendu dans le tokonoma sur lequel il y était écrit le motif de son absence. De la sorte les invités ou visiteurs qui venait pour lui transmettre un message ou lui offrir un cadeau s’adressait à ce kakemono en présence d’un garde qui se chargerait ensuite de transmettre ce même message. Le tokonoma servait ainsi à faire office de présence pour le shogun lorsque celui ci ne se trouvait pas dans sa demeure royale.
Développement du tokonoma sur l’archipel japonais
Au XVIIIème siècle durant l’époque d’Edo (1603-1868) le tokonoma commença à se démocratiser dans les maisons japonaises des riches propriétaires, marchands et même samouraïs si bien qu’à la fin du siècle une majeure partie d’entre eux en possédait un dans leur demeure privé. Ceux-ci n’ayant alors de salle de réception dédiée, le tokonoma était généralement aménagé dans le washitsu, la salle en tatami principale d’une maison japonaise traditionnelle. Il perdit ainsi sa fonction de lieu de réception au profit d’un lieu d’exposition dans lequel son propriétaire y montrait des objets qui avaient pour vocation de traduire sa richesse.
Ce que pouvait accueillir le tokonoma commença ainsi à se diversifier. D’abord du kakemono en passant par les encensoirs et les bougeoirs, les riches propriétaires y exposèrent alors bien d’autres objets d’arts comme des bronzes, des okimonos (sculptures japonaises), des estampes mais également des éléments en lien avec la nature comme des bonsaïs ou des compositions florales ikebana. Le tokonoma, en plus de sa dimension sacré et religieuse, prit alors une réelle tournure artistique dans lequel son propriétaire s’adonnait à présenter des objets en lien direct avec la culture artistique japonaise de l’époque, qui elle même était en grande partie influencée par la culture chinoise.
Le tokonoma se démocratisa également dans les shoin, les bâtiments fondateurs du style architectural japonais dédiés à des pratiques artistiques ainsi que dans les maisons de thé qui elles même étaient déjà apparues avant au XVème siècle. Il permettait ainsi d’ajouter une touche artistique dans une maison de thé à travers différents types de décorations tels que ceux cités au dessus. De plus, les maîtres de thé prirent pour habitude de changer les décorations présentent, spécifiquement les kusamonos et les kokedamas, dans les tokonomas en fonction des saisons de l’année et c’est quelque chose qui est resté dans les mœurs japonaise jusqu’à s’étendre dans les demeures privés des citoyens japonais.
Le tokonoma étant alors un symbole de richesse que seuls les nobles pouvaient se permettre de posséder, il fallut attendre plusieurs siècles avant de les voir apparaître dans les résidences de la classe populaire japonaise. Cela arrivera en réalité pas avant la fin du XIXème siècle. De par sa popularisation et sa banalisation dans les maisons japonaises, il perdit alors peu à peu son rôle de symbole de richesse pour son propriétaire au profit d’une fonction plus décorative. Cependant, il ne perdit pas pour autant son aspect sacré et le respect qu’il lui est accordé car encore aujourd’hui il est interdit d’y pénétrer à l’exception bien sûr d’y changer les décorations. Finalement, de nos jours il s’est popularisé à tel point que même certains hôtels ou restaurants japonais en font mettre en leur sein mais malheureusement ne respectent que partiellement son aspect cultuel en mettant dedans parfois tout et n’importe quoi comme des téléphones fixes pour y passer un appel. De plus, bien que des fois des tokonomas modernes soient aménagés dans les nouvelles maisons japonaises, on ne peut que constater qu’il sont de moins en moins présents dans les résidences d’aujourd’hui.
Les éléments présents dans les tokonomas
Bien que les tokonomas aient légèrement évolués en terme de forme au cours de l’histoire. Passant selon les sources par des formes d’étagères ou même parfois de support amovible, leur contenu est lui, d’une manière générale, resté plus ou moins le même. Voici donc les différents types de décorations et d’œuvres d’arts que vous allez pouvoir retrouver dans les tokonomas japonais traditionnels. Naturellement, ils ne seront jamais tous rassemblés en même temps et seulement deux ou trois de tous ces éléments seront amenés à cohabiter ensemble dans le tokonoma.
Des compositions florales
La qualité des jardins zen japonais est aujourd'hui reconnue mondialement a tel point qu’ils sont considérés comme un art à part entière. Cependant, ils ne sont pas les seuls éléments naturels à s’être fait une place dans la culture japonaise. L’art floral ikebana est au moins tout aussi populaire au pays du Soleil levant et même ces deux arts réussi ne suffirait pour représenter tous les types de décorations florales japonais qu’il existe. En réalité, il existe quatres types de décorations florales et naturelles que les japonais s’adonnent à exposer au sein de leur tokonoma. Premièrement, les bonsaïs. Secondement, les compositions florales ikebana et pour finir les kusamonos et les kokedamas qui servent de compléments. Voyons donc à quoi ceux-ci correspondent.
Les bonsaïs
Comme beaucoup de choses les bonsaïs sont une partie de la culture japonaise qui a été importée par la Chine qui fut la première à tailler ces petits arbres dans un but esthétique durant la dynastie Han (-200 av. JC). Après leur arrivée sur le territoire nippon au XIème siècle, ils furent rapidement appréciés pour leur raffinement esthétique en accord avec la culture zen de l’archipel. Cependant, tout comme pour les compositions ikebanas les bonsaïs restèrent pendant longtemps une pratique réservée à la noblesse et l’aristocratie japonaise.
Il faudra de ce fait attendre le XVIIIème siècle et la popularisation des tokonomas dans les résidences privées pour voir les bonsaïs s’affirmer vraiment comme un art et se répandre abondamment sur le territoire. Depuis il s’agit certainement d’un des éléments les plus répandus dans les tokonomas pour le calme et l’aspect naturel qu’il donne au washitsu. Une exposition annuelle de bonsaïs se tient même chaque année à Tokyo pour ceux qui souhaiteraient aller voir de plus près cet art naturel qui est devenu un réel moyen d’expression et de communication à part entière.
Les compositions florales ikebana
Bien que les premières traces de l’art floral au Japon remonte à encore plus loin que les bonsaïs puisque c’était au VIIIème siècle, il fallut attendre plusieurs siècles avant de voir l’ikebana se développer réellement au Japon. L’implémentation des tokonomas dans les résidences privé est là aussi quelque chose qui a grandement favoriser la popularisation de l’ikebana, cependant ce n’est pas la seule raison. De par la grande influence du bouddhisme sur la culture japonaise les compositions florales ont toujours possédées une dimension religieuse en étant considérées comme une offrande à Bouddha, ce qui amena un grand nombre de pratiquants bouddhistes à s’y intéresser de plus près. Finalement, tout comme pour les bonsaïs l’ikebana s’est développé à tel point d’être considérer comme un art à part entière et se retrouve encore aujourd’hui dans les tokonomas pour l’atmosphère zen qu’il dégage dans la pièce.
Les kusamonos
À la différence des bonsaïs et des compositions ikebanas, les kusamonos, également appelés kusabonsaï ou bonsaï d’herbe, ainsi que les kokedamas que nous verrons ensuite sont considérés comme des éléments de second plan dans un tokonoma. Ils servent à accompagner un élément plus grand et majestueux comme une composition ikebana ou dans la plupart des cas un bonsaï. Les kusamonos sont apparus dans les années 1870 et comme vous pouvez le voir sur la photo ils ont une allure bien plus sauvage et moins raffinée que les bonsaïs ou les compositions ikebana. Cependant, ce n’est pas pour autant qu'ils ne méritent pas d’entretien. Il sont en effet disposés dans un pot, généralement rond ou ovale, et il est par conséquent nécessaire de changer régulièrement ce pot ainsi que de le tailler quand le besoin s’en fait sentir. Finalement, les kusamonos ainsi que les kokedamas sont les éléments que l’on change dans le tokonoma afin d’indiquer la saison à laquelle nous nous trouvons.
Les kokedamas
Les kokedamas sont les éléments le plus récents que l’on retrouve dans les tokonomas puisqu’ils sont apparus seulement dans les années 1990. Tout comme les kusamonos ils servent donc d’accompagnement et font office d’élément complémentaire dans le tokonoma. Mais à la différence des kusamonos, les kokedamas ne possèdent eux pas de vase. Ils reposent sur leur propre motte de terre qui est tassée en forme de boule puis recouverte par de la mousse afin de faire tenir le tout. Il est néanmoins important de surveiller le taux d’humidité de la pièce afin que la motte de terre appelée keto ne s’effondre pas ni se craquelle si au contraire l’air est trop sec. Les japonais possèderaient presque plus de deux fois plus de types de mousse que nous autres dans notre climat européen ce qui leur permet d’avoir plus de liberté au vue des mousse à appliquer sur le keto.
Des expositions murales
Dans un tokonoma il est très fréquent de retrouver une exposition murale couplée avec une composition florale, ikebana ou bonsaï. C’est en effet un duo qui se marie bien ensemble de part leur complémentarité artistique et stylistique. Tout comme l’art de la nature, les expositions murales japonaises sont également un vaste domaine artistique qui est au moins tout aussi important d’un point de vue culturel. Il n’est donc pas étonnant d’en retrouver au sein des tokonomas.
Les kakemonos
Comme mentionné dans la section “histoire du tokonoma”, les kakemonos sont les premiers éléments à être apparus dans les tokonomas alors qu’ils servaient encore à y inscrire le motif de l’absence du shogun. C’est également les premiers à être adoptés dans les tokonomas des résidences privés ainsi que dans les maisons de thé où ils sont très importants pour faire vivre une expérience harmonieuse à l’invité. Cependant, les kakemonos sont en réalité une grande famille qui regroupe plusieurs styles différents. On y retrouve en effet dans la plupart des cas des écritures calligraphiques mais les tokonomas sur lesquels sont représentés des paysages sont également très populaires.
Parmi les différentes calligraphies inscrites sur les kakemonos on retrouve principalement :
- un kanji
- un poème
- une citation
- une prière
Bien que le contenu littéraire du kakemono est très important, sa forme l’est au moins tout autant. Ce n’est en effet pas par hasard si la calligraphie japonaise est considérée elle aussi comme un art à part entière. Cet art se nomme le shodo ce qui signifie littéralement la voie de l’écriture et il est encore aujourd’hui imposé comme matière obligatoire dans les écoles primaires japonaises.
La calligraphie est en réalité un des arts les plus anciens de la culture japonaise puisqu’elle remonte au Vème siècle lorsqu’elle servait à recopier des textes bouddhistes ou à garder une trace écrite des récits de guerre ou même de certaines histoires d’amour. Les geishas ainsi que les samouraïs s'adonnaient souvent à cette pratique considérée comme noble et gracieuse, à tel point même que certains kakemonos calligraphiques sont tout droit tirés de la main du shogun. Il n’était donc pas étonnant que toute cette fascination pour l’art calligraphique finisse par se retrouver dans les tokonomas destinés à exposer différents styles artistiques japonais. Finalement, tout comme pour les kokedamas et les kusamonos la tradition veut que les kakemonos soient changés régulièrement dans le tokonoma en fonction des occasions qui se présentent comme le type d’invité ou les saisons de l’année.
Les estampes
Les estampes japonaises sont des gravures sur bois qui sont porteuses d’un célèbre courant artistique appelé ukiyo-e, pour “image du monde flottant”. Ce qui peut être compris comme la capture par le dessin d’un instant précis de ce monde en constant changement. Elles ont connu leur âge d’or durant la période d’Edo (1603-1868) où s’est illustré un des plus grands maîtres Katsushika Hokusai qui est l’auteur de la célèbre série “36 vues du Mont Fuji” dans laquelle on retrouve la toile “La Grande Vague de Kanagawa”. D’une manière générale on y retrouve des représentations de la vie bourgeoise de l’époque avec donc des geishas, des samouraïs mais aussi des paysages ou des combats de lutte sumo.
Bien que le estampes soient moins présentent que les kakemonos au sein des tokonomas on ne peut les omettre parmi les expositions murales japonaises tant celles ci se sont intégrées dans la culture nippone traditionnelle. Leur coût de production étant relativement faible, cela a permis d’en produire un grand nombre et donc de répandre rapidement partout sur l’archipel ces gravures sur bois. Après la restauration de Meiji en 1868 et l’ouverture du Japon au monde du commerce international, elles ont été d’ailleurs été fortement appréciées en Occident.
Des encensoirs et des bougeoirs
Tout comme les kakemonos, les encens sont des objets très anciens qui sont apparues sur le sol japonais aux alentours du VIème siècle. Ils continuent encore aujourd’hui à être brûlés dans les temples bouddhistes ainsi que les tokonomas et ce pour de nombreuses raisons spirituelles, religieuses, olfactives et même thérapeutiques.
Avant d’être introduit dans les tokonomas les encensoirs ainsi que les bougeoirs étaient fréquemment consommés dans le butsudan, l’ancêtre du tokonoma cité dans la section “origine du tokonoma”. Plus qu’un simple objet permettant de libérer des bonnes odeurs, les encens avaient vocation à purifier l’air ambiant afin de pouvoir y faire des prières lors des rites bouddhistes et même à guérir dans certaines situations. L’arrivée des tokonomas dans les résidences privés couplé au fait que la quasi totalité du peuple japonais était bouddhiste laissa donc champ libre afin d’en faire brûler chez soi dans ce lieu sacré. D’autant plus que l’art d’apprécier les parfums, le kodo, était déjà reconnu depuis plusieurs siècles et il était donc légitime de l’introduire dans le lieu destiné à accueillir les différents arts japonais : le tokonoma.
Il est encore aujourd’hui fréquent de faire brûler de l’encens lorsqu’on reçoit quelqu’un au Japon et c’est également un cadeau très courant qui si jamais vous manquez d’inspiration, vous permettra de remercier votre hôte avec un objet traditionnel. De plus, par-dessus son côté religieux la fumée que l’encens dégage possède des molécules aux vertus relaxantes qui favorisent la réflexion et seront parfaites pour méditer.
Des œuvres d’arts
Si nous différencions les œuvres d’arts qui vont suivre dans une catégorie à part c’est avant tout un choix d’ordre pratique, il est évident que les bonsaïs ainsi que les estampes sont par exemple des œuvres d’arts à part entière. Les objets d’arts sont donc rapidement arrivés dans les tokonomas car ils permettaient d'illustrer d’abord la richesse de l’hôte qu’il soit marchand ou samouraï mais aussi de laisser s’inviter dans la demeure de ce dernier un certain raffinement pour la culture zen. La richesse de l’artisanat japonais permettaient également de satisfaire tous les goûts de par la diversité de ses œuvres d’arts allant des okimonos aux bronzes en passant par les suisekis et les céramiques.
Les okimonos
Bien que les okimonos soient des pièces plutôt récentes (fin XVIIIème siècle) en comparaison de leurs collègues décoratifs, ils restent encore assez peu connu de la culture japonaise. Comme vous pouvez le voir sur la photo ci-dessous il s’agit de statues comparables aux netsukes, des petites statuettes que les japonais accrochent au kimono, mais en grand format. Ils sont la majeur partie du temps fabriqués en ivoire mais on en retrouve également en buis, en corail, en métal ou même en pierre semi-précieuse. Ils représentent pour la plupart des divinités, des monstres folkloriques ou des métiers.
À la différence de certains autres éléments qu’on retrouve dans le tokonoma, l’okimono a uniquement une fonction décorative. Ce n’est pas ce qu’on retrouve le plus souvent mais une grande industrie artistique s’est cependant développée depuis la fin de l’époque d’Edo et ils furent très appréciés notamment durant l’ère Meiji (1868-1912). Après un déclin d’intérêt au Japon pour ces statues causé par de multiples raisons comme la protection des éléphants et leurs défenses en ivoire, ils furent dans un second temps appréciés en Occident pour leur raffinement et font encore aujourd’hui le bonheur de certains collectionneurs.
Les bronzes
Importés par la Chine il a de ça plusieurs siècles, les bronzes sont des objets qui sont arrivés très trop sur l’archipel nippon. Comme la majorité des œuvres d’arts ils sont donc des éléments que vous pourrez retrouvez au sein des tokonomas sous forme de statue, souvent de Bouddha, ou de vase dans la majorité des cas. Cependant, au Japon particulièrement, il est courant de retrouver des bronzes sous forme animal où plusieurs maîtres excelleront dans cette discipline pendant les ères d’Edo et de Meiji. Finalement, le Japon s’appropriera petit à petit cet art en développant ses propres techniques de production et de raffinement comme l’alliance entre les alliages or et cuivre appelé shakudo.
Les suisekis
Tout comme les okimonos, les suisekis, littéralement “pierres d’eau”, ne sont pas des objets tant connu que ça à l’international et pourtant elles font bien parti intégrante de la culture artistique japonaise. Cet art consiste à récupérer des pierres polies par le cours d’eau, généralement dans une rivière, et à les nettoyer puis les mettre en valeur sur un socle appelé suiban. Tout comme beaucoup d’arts japonais il est lui aussi en lien direct avec la nature mais à la différence qu’il n’est pas permis de retoucher la pierre à la main après sa récolte.
À l’instar des kokedamas et des kusamonos, les suisekis sont également des éléments de second plan de par leur petite taille et servent généralement d’accompagnement pour un bonsaï au sein des tokonomas. Leur objectif principal est de représenter à travers des formes et des couleurs des concepts que nous connaissons comme des formes humaines ou animales ou bien des paysages. C’est un art très subtile qui implique de laisser parler son imagination mais permet d’amener une vraie touche naturelle dans une maison. On doit sa popularisation au sein des tokonoma au Japon notamment au grand maître de thé Sen no Rikyu.
Les céramiques japonaises
Si certains arts japonais peuvent paraître anciens, ce n’est rien en comparaison de la céramique japonaise qui est pratiquée depuis l’époque Jomon qui s’étend de -15 000 à -300 av. JC. Depuis cette période les méthodes de fabrications ont bien sûr évoluées faisant tourner une pratique utilitaire destinée à faire des tasses et des assiettes en une pratique artistique tant certaines pièces se trouvent magnifiques.
Par ailleurs ce même art donna naissance à d’autres comme le kintsugi qui consiste à réparer des porcelaines en laissant apparent le procédé de réparation à l’aide d’une laque appelée urushi. Le résultat ainsi obtenu est somptueux donc arborés parfois dans les tokonomas où ils ont pour rôles de rappeler l’essence de la vie éphémère et imparfaites mais également de préserver la santé de la famille dans laquelle ils se trouvent.
Le symbolisme du tokonoma
Après ce long détour retraçant l’ensemble des éléments qui figurent dans les tokonomas sur le territoire japonais, il est temps de s’intéresser à un point crucial de ce dernier qui n’est autre que son aspect symbolique pour le peuple nippon. Comme nous avons pu le voir il ne s’agit pas d’un simple lieu destiné à y mettre toute sorte de décoration, plus que ça il possède une vraie empreinte d’un côté historique et traduit une sagesse artistique aiguisée pour son hôte. Il possède également une dimension symbolique sur plusieurs plans comme nous allons le voir sans plus attendre.
La dimension religieuse
Au Japon la religion est quelque chose de très présent et de très ancrée dans les mœurs, qu’il s’agisse de la religion bouddhiste ou de la religion shintoïste. On dénombre aujourd’hui pas moins de 89 millions de bouddhistes pour plus de 90 millions de shintoïstes (source : wikipédia), ce qui représente tout de même plus de 70% de la population pour chaque religion. À titre de comparaison en France on dénombre pas plus de 50% de catholiques avec une minorité de pratiquants selon la dernière étude réalisée par l’observatoire de la laïcité en 2019. Tout ça pour dire que les japonais accordent beaucoup d’importance à la religion dans leur société, à l’époque féodale comme maintenant, et que par conséquent il n’est pas si étonnant de voir que le tokonoma soit souvent lié directement à la religion bouddhiste ou shintoïste à travers ses éléments.
Il y fait en effet pas référence directement mais à de nombreuses reprises lorsque son propriétaire choisi d’y faire brûler de l’encens pour purifier la pièce ou même d’y exposer des okimonos représentant des divinités shintoïstes. On peut également mentionner les nombreux kakemonos sur lesquels sont inscrits directement des écrits bouddhiques ou des compositions ikebanas qui sont destinées à être dans leur forme finale une offrande à Bouddha. De plus, il ne faut pas oublier que le tokonoma descend du butsudan qui lui était lui un objet à destination purement religieuse.
La dimension artistique
Malgré le peu d’espace qu’il laisse en son sein, le tokonoma reste sans aucun doute l’endroit dans lequel on retrouve le plus d’œuvres d’arts à l’échelle individuelle. Si on voulait le définir sur le plan artistique il pourrait être traduit comme la convergence des différents types d’arts traditionnels japonais sous leurs formes finis. On y retrouve en effet plusieurs arts pourtant si différents dans leur forme mais si proche dans leur philosophie et leur raffinement que cela créer une vraie harmonie dans le washitsu.
En admirant les tokonomas on peut voir derrière ses composants plusieurs siècles voire millénaires d’artisanats, de pratiques spirituelles et artistiques dans lesquelles se sont passionnés et accomplis bien des samouraïs avant nous alors qu’ils n’avaient plus besoin de faire usage de leur katana durant la période d’Edo. Finalement, c’est avant tout la richesse artistique des tokonomas qui les rends si passionnants à étudier de par la diversité des œuvres d’arts qu’ils peuvent accueillir.
La dimension culturelle
Si vous êtes déjà allés au Japon dans une maison traditionnelle, peut-être n’y avez-vous pas fait attention mais normalement votre hôte vous aura soigneusement assis en face du tokonoma. Ceci n’est pas un hasard. Ce geste à pour but de traduire la modestie du résident qui ne se positionne pas en face de ses œuvres afin de les admirer, il laisse plutôt ce privilège à son ou ses invités.
Néanmoins, la modestie mise en avant avec ce procédé de politesse n’est cependant pas toute blanche. Comme mentionné plus tôt dans cet article, lorsque la bourgeoisie s’est emparée des tokonomas et a commencée à en introduire dans ses propres résidences, elle l’a transformé en sorte de musée personnel avec comme but principal de montrer ses richesses. Rapidement le tokonoma est alors devenu une sorte d'ascenseur social permettant un accès plus facile aux groupes de nobles et à l’ancienne caste aristocratique japonaise. Bien que le fait de positionner son invité en face est aujourd’hui purement ou presque symbole de modestie, cela n’a donc pas toujours été le cas dans la culture japonaise où cela permettait à l’époque féodale de faire admirer ses richesses à ses invités.
Cependant, ce côté m’as-tu-vu qu’on a pu connaître avec les tokonomas n’a jamais empêché ceux qui en étaient propriétaires d’en faire un outil vers leur accomplissement personnel en quête du zen. En effet, bien que les œuvres d’arts peuvent être achetées toute faite, il était autrefois courant de faire soi-même ses œuvres afin de les exposer ensuite dans son tokonoma. Cela avait bien évidemment de nombreux avantages comme le fait de se laisser aller dans une passion permettant de s’exprimer, de se libérer et de reprendre contact avec la nature comme par exemple avec les bonsaï ou les compositions florales ikebana. L’imagination était elle aussi bien-sûr très sollicité que ce soit pour concevoir des œuvres naturelles où trouver des formes au sein des suisekis.
Finalement, la décoration japonaise étant quelque chose d’assez normée dans laquelle on retrouve peu de fantaisie, le tokonoma est vu comme une sorte de libératoire dans lequel on peut afficher ses goûts personnels pour un art plus qu’un autre. Quoi qu’il en soit, on y change fréquemment ce qu’il y est exposé en fonction des occasions et à la maison comme dans les salons de thé, pour un japonais qui reçoit un étranger c’est une manière de faire partager sa culture. Par ailleurs, il existe différent types de tokonomas et c’est ce que nous allons voir dès à présent.
Architecture et style du tokonoma
Bien que les tokonomas permettent une certaine liberté quant à ce qu’il est possible d’y exposer, leur architecture est elle en revanche assez normée. On compte en tout trois types d’architectures de tokonoma et trois styles qui vont dépendre de la façon dont ils vont être agencés et du degré de formalité de leurs matériaux.
Architecture du tokonoma
Étant donné que toutes les maisons japonaises ne possèdent pas la même architecture d’intérieure, il a fallu développer plusieurs types de tokonomas différents afin de pouvoir les aménager dans chacune d’entres elles. De ce fait, on retrouve trois types d’architectures différentes et il est réalité très simple de les différencier :
- hondoko : tokonoma possédant sa fenêtre à gauche située en direction du sud
- gyakudoko : tokonoma possédant sa fenêtre à droite située en direction du nord
- ryakudoko : tokonoma ne possédant pas de fenêtre du tout
C’est donc cette raison qui explique que jusqu’à maintenant vous avez pu observer chez un japonais ou même sur les photos de cet article des tokonomas différents. Cependant, bien que l’architecture différencie assez nettement les tokonomas, c’est en réalité à leur style et leur degré de formalité qui les classifie davantage.
Style du tokonoma
Afin de connaître le style du tokonoma que vous avez en face de vous, il vous suffit d’observer ce qu’on appel le tokobashira. Il s’agit de la poutre de soutien très volumineuse qu’on retrouve dans tous les tokonomas. Bien qu’elle possède un important rôle utilitaire de part sa fonction de poutre porteuse, elle est également un puissant symbole qui détermine la famille de tokonoma à laquelle appartient l’ensemble de la structure. Tout comme pour le nombre d’architectures, il existes trois styles de tokonomas qui sont définis par le degré de formalité et de prestige de ce dernier.
Les tokonoma shin
Les tokonomas shin sont les plus nobles des tokonomas. Ils sont naturellement les plus chers et cela s'explique par la qualité des matériaux avec lesquels ils sont conçu ainsi que la minutie avec laquelle ont été travaillées l’ensemble de ses pièces. Il se remarque avec son tokobashira très noble de forme carré et toujours très droit ainsi qu’avec les bandes décoratives qui sont brodées sur son tatami, appelées koraiberi. Cependant, le luxe d’un tokonoma ne se mesure pas uniquement à la beauté de sa structure. Il faut que les objets qui y sont exposés soit eux aussi très prestigieux.
Les tokonomas gyo
Le style gyo est l’entre-deux placé au milieu du style shin et du style so. Il possède un certain degré de formalité mais laisse quand même une certaine liberté dans sa conception. Son tokobashira est quant à lui de forme ronde mais conserve néanmoins la même droiture que le tokobashira des tokonmas shin. C’est par ailleurs le style qui est plus souvent arboré dans les tokonomas de réception comme des dans les restaurants ou les hôtels.
Les tokonoma so
Le style so est donc le style de tokonoma le moins “noble” mais également celui qui vous rend le plus libre quant aux matériaux avec lesquels vous pouvez le fabriquer. Son tokobashira est lui un tronc d’arbre poncé mais où on observe encore certains défauts naturels propre à l’arbre que vous avez choisi. Il est également souvent utilisé pour les maisons de thé.